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Le petit monde de Stephanus
26 décembre 2014

Décès du chef de famille. Quelle épitaphe choisir pour lui rendre un bel hommage ?

Papa est mort.

Un concours de circonstances à la fois abominable et caustique.

Comme chaque année, nous étions invités à passer la soirée du réveillon chez mes parents, dans leur petit pavillon de la banlieue rennaise.

Pour ce qu’il suspectait – à dessein – d’être son dernier repas de Noël, mon père souhaitait que la soirée soit aussi gaie que possible. Il avait donc tenu à ce que cette fête religieuse s’apparente à une sorte de bal masqué – ohé ohé – en nous demandant expressément de venir déguisés sur le thème « Les grands héros français, des gaulois à la cinquième république ».

Ma mère, coquette malgré son âge avancé, s’était grimée en Carla Bruni, en se maquillant outrageusement, et en revêtant un petit tailleur « ras-la-motte » et des pompes de salope.

Mon père, fidèle à sa passion indéfectible pour l’ordre et la rigueur, avait revêtu un magnifique uniforme de la milice sous l’Occupation, agrémenté d’un petit brassard aux couleurs chatoyantes.

Ma sœur cadette et son mari, en harmonie parfaite, s’étaient déguisés en Ernest-Antoine Sellière et Laurence Parisot.

Quant à moi, j’avais choisi un illustre personnage de notre Histoire commune, en la personne de Robin des Bois. J’étais donc vêtu d’une tunique verte, d’un collant de même couleur qui moulait mes bourses, et je portais en bandoulière un arc et un carquois rempli de flèches.

Seuls ma sœur aîné et son mari avaient refusé de se prêter au petit jeu, ce qui a beaucoup courroucé papa, et a été le point de départ de la spirale infernale ayant débouché sur son décès.

En effet, alors que nous étions tous installés autour de la table en formica massif pour déguster l’apéritif, mon père a indiqué d’une voix grave qu’il n’appréciait pas le fait que certains convives n’aient pas accepté de respecter les consignes données.

Se sentant naturellement visé par ces remontrances, mon beau-frère a rétorqué en indiquant qu’une personne de son rang ne pouvait accepter d’endosser un accoutrement ridicule. Il était hors de question, pour lui, de risquer de se retrouver en photo sur un site communautaire de type « copains d’avant », déguisé en Pépin le Bref, en Dominique Rocheteau, ou en Herman Goering. Ma sœur aînée a ajouté que Noël n’était pas le carnaval, et que s’habiller « en pute » comme l’avait fait maman, ou en « gros pédé des forêts » comme je l’avais moi-même fait, constituait quasiment un blasphème.

Furieux, mon père a rétorqué qu’il n’avait que faire de la Nativité, qu’il se foutait du Christ comme de son premier slip, et qu’il soupçonnait d’ailleurs Jésus de n’être qu’un « putain de communiste » et un « garçon-coiffeur en manque de bite ».

Le ton est encore monté d’un cran lorsque mon beau-frère, excédé par les propos de papa lui a intimé l’ordre de « fermer sa grande gueule ». Se sentant menacé, mon père a alors ouvert le tiroir du buffet, et en a extirpé un Parabellum – le pistolet 9 mm, pas le groupe de punk – qui lui avait été remise en guise de récompense par la Kommandantur, au cours du doux été 1941.

N’écoutant que son instinct, mon beau-frère a saisi mon arc et une flèche, puis a tiré sans réfléchir en direction de mon père. Fort heureusement, ma sœur a – comme qui dirait – des goûts de chiotte en matière d’homme, et elle s’est mariée à un type qui, en plus d’avoir une haleine de merde, souffre d’un strabisme assez prononcé. De fait, le tir mal ajusté du beau-frère est allé se ficher dans la porte du buffet situé derrière papa. Malheureusement, la violence de l’impact a ébranlé la collection de bibelots juchés sur le meuble, et l’ensemble des statuettes en bronze a chu sur le boîtier de commande électrique du fauteuil roulant de papa. Par la suite, l’engin qui transportait le pauvre bougre s’est emballé puis s’est dirigé vers l’escalier menant à la cave, sans que quiconque n’arrive à le maîtriser.

Après avoir dévalé la vingtaine de marches, le convoi a stoppé net sa course, s’encastrant dans le mur en parpaings situé en contrebas.

Je ne m’appesantirai pas sur les instants traumatisants qui ont suivi.

Mon père n’a pas survécu, et nous voilà aujourd’hui avec un lourd deuil à porter, et un mur à lessiver.

Malgré les tumultes et les vifs échanges qui avaient émaillé ma relation avec papa ces derniers mois, je me sens particulièrement affligé par la mort de cet homme qui, au-delà d’une figure paternelle virile et poilue, restera avant tout un modèle de droiture, et je dirais même d’extrême-droiture.

Afin de lui rendre un dernier hommage, j’aimerais commander une plaque mortuaire avec une épitaphe éloquente, qui résumerait parfaitement ce qu’il a été pour sa famille et ses frères d’armes de l’OAS (Organisation Armée Secrète).

J’hésite entre deux formules :

1)     « A un père aimant, qui était loin d’être une tarlouze »

2)     « Il a vécu comme un brave. Dommage qu’il soit mort dans la cave ».

J’ai une préférence pour la seconde proposition, qui me semble plus poétique.

Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, et me proposer éventuellement d’autres idées ?

 

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Le petit monde de Stephanus
  • Stephanus, le chaînon manquant entre Guy des Cars et Chimène Badi. Stephanus, ça se lit comme un bon Marc Lévy. Stephanus, c'est bon comme du bon pain, c'est plus authentique qu'un film de Guillaume Canet, et plus parfumé que la foune de Nadine Morano.
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