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Le petit monde de Stephanus
10 juillet 2013

Invitation chez mon chef pakistanais. Quelle entrée originale pourrais-je apporter ?

Mes journées sont bien remplies depuis quelques temps.

Fidèle à mes convictions de salarié modèle et acharné, je travaille d’arrache-pied, n’hésitant pas à sauter la pause de midi pour être encore plus productif. Par ailleurs, je vous avouerai que ce boycott du déjeuner m’arrange bien, car les repas en compagnie de mes collègues ont tendance à me crisper de plus en plus, tant leurs sujets de conversation m’indiffèrent. Entre Paul qui ne parle que de littérature, Simon qui n’arrête pas de critiquer la politique de l’entreprise, Henri qui m’a l’air un peu homosexuel sur les bords, Sylvain qui a le profil du jeune drogué, et Jean-Luc qui sent très fort sous les aisselles, on peut dire que je ne suis vraiment pas gâté. Délaissant donc ce que certains membres de la classe ouvrière ont coutume d’appeler « la pause casse-croûte », je fais actuellement des journées de travail de douze heures non-stop et je ne m’en porte pas plus mal.

De toutes façons, je n’ai pas énormément d’occupations ni de loisirs en dehors du boulot, et je n’ai pas encore de relations sur Le Mans (72), donc je préfère me donner à fond pour mon entreprise, étant donné que je suis en période probatoire et que je dois produire une bonne impression auprès de mon chef de service. Je pense d’ailleurs que la mission est partiellement accomplie, car Philippe m’a adressé à plusieurs reprises ses félicitations pour mon abnégation et mon efficacité. Devant tant de compliments, j’ai joué l’humilité en lui expliquant que je ne faisais qu’exécuter la mission pour laquelle j’étais rémunéré, et que je me sentais encore très imparfait dans mon travail.

Ce que Philippe est encore loin d’imaginer, c’est que mon objectif est, à brève échéance, de lui « damer le pion ». En des termes moins métaphoriques, je projette de prendre sa place d’ici quelques mois, car je juge ses méthodes de management trop laxistes et peu adaptées aux exigences de rentabilité qui ont été réaffirmées au cours de la dernière assemblée des actionnaires. En outre, j’ai toujours mis en cause la loyauté de Philippe : il s’agit, certes, de quelqu’un d’avenant et de très professionnel, mais ses origines pakistanaises sont de nature à me mettre des doutes.

Que les choses soient claires : je ne suis ni raciste, ni antisémite, et je tiens d’ailleurs à vous réaffirmer que je suis un grand admirateur d’Anthony Kavanagh et d’Élie Kakou. Cependant, au regard de ce qui se passe au Pakistan depuis plusieurs années, je pense qu’il convient d’être méfiant. En outre, une intégration de façade peut très bien cacher de mauvaises intentions : rappelons à cet égard que les auteurs des attentats du métro londonien étaient des Japonais parfaitement intégrés à la société anglaise, qui parlaient couramment la langue du pays, dont les enfants portaient des prénoms à consonance britannique, et qui ne mangeaient plus de poulet au curry depuis des années pour mieux brouiller les pistes.

La vigilance et le principe de précaution étant de mise, j’envisage donc de prendre la place de Philippe à plus ou moins court terme, et il me faudra pour cela connaître ses faiblesses afin de le mettre définitivement hors-jeu. En l’occurrence, et sans le savoir, ce grand naïf a tendu un bâton pour se faire battre : il m’a invité à dîner chez lui dans une quinzaine de jours. Ceci va me permettre d’étudier son mode de vie, ses habitudes, ses rituels. En prétextant une envie pressante de déposer la « grosse commission » je pourrai même m’éclipser suffisamment longtemps du repas pour fouiller sa chambre, et tenter d’y découvrir des éléments qui pourraient indiquer sa volonté de nuire. Je souhaiterais notamment jeter un œil attentif à sa bibliothèque afin d’y détecter la présence éventuelle d’ouvrages litigieux (coran, torah, manuel de pilotage d’avions de type Airbus, etc.).

Si je décèle quoi que ce soit de suspect, il ne me restera plus qu’à en référer à mon directeur général, afin d’attirer son attention sur le danger que représente Philippe au sein de l’entreprise. La délation étant un sport national fort justement récompensé dans notre pays, je ne doute pas qu’on me proposera alors une promotion dans des délais assez courts. Mais nous n’en sommes pas là ; je dois en premier lieu tout mettre en œuvre pour ne pas éveiller les soupçons de Philippe et faire en sorte que cette soirée soit placée sous le signe de la convivialité et de la confiance mutuelle.

Afin de lui prouver que je sais parfaitement m’adapter aux coutumes de mes hôtes, je prévois de venir vêtu d’un boubou multicolore. Par ailleurs, je jugerais cohérent de lui faire découvrir les spécialités culinaires de notre beau pays, et j’ai donc informé Philippe que je me chargeais d’amener une entrée.

Cependant, j’hésite encore entre une boîte de rillettes artisanales (style Bordeau-Chesnel) et une salade de riz (thon, tomate, maïs, mayonnaise). Vers quel choix est-il préférable que je m’oriente ?

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Le petit monde de Stephanus
  • Stephanus, le chaînon manquant entre Guy des Cars et Chimène Badi. Stephanus, ça se lit comme un bon Marc Lévy. Stephanus, c'est bon comme du bon pain, c'est plus authentique qu'un film de Guillaume Canet, et plus parfumé que la foune de Nadine Morano.
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